#44
Il faut que je m'asseye.
Sur ce fauteuil, je serai bien. Mon dos pourra se poser contre le dossier haut, jusqu'à ma nuque je pourrai relâcher mes muscles. Les fesses au milieu de l'assise, j'allongerai mes jambes.
Il faut que je m'asseye, et je n'aurai plus qu'à étendre le bras et saisir le livre sur le guéridon, posé ouvert pour marquer la page, au milieu des carnets, des stylos, d'images découpées dans des magazines, de bouts de tissu et de pastels gras. Tout un monde sur un plateau de bois. Il reste de la précédente pause une tasse de thé de facture anglaise et sa soucoupe, quelques miettes d'un petit gâteau, fleurs rose et crème un peu fanées par de nombreuses vaisselles. Une photo d'enfant en culotte courte et guimpe à dentelles dans un cadre argenté surplombe les objets éparses. La bouille ronde et hilare comme si elle venait de faire une bonne farce observe ravie l'éparpillement.
Et je suis toujours debout, les bras ballants. Mes yeux voient sans regarder ce désordre domestique qui me tend les bras pour ressentir son confort. Regard dans le vague. Rien ne bouge dans la pièce, pas un souffle d'air pour balancer les fleurs des branches de freesia poivrées.
Il faut que je m'asseye. J'entendrai le moineau qui pépie dans la haie. Je ne suis pas certaine d'arriver à tourner la tête pour guetter le moment où il en sortira. Je l'entendrai juste, son chant d'abord étouffé, et puis sa volée hors des branchages, enfin le son clair dans l'air du jardin, juste au dessus des plants de tomates et de basilic. Sans rien bouger de mon corps, je me souviendrai de moment où j'étais dans ce fauteuil, immobile déjà, à attendre que le temps passe pour le retrouver. Sûre qu'il serait là bientôt, la vie de l'extérieur entrée comme un courant d'air quand il aurait ouvert la porte.